Le kelsch d'Alsace

Le kelsch d’Alsace est un tissu de lin, de coton ou de métis produit en Alsace. Il est orné d’un motif de carreaux formés par le croisement de fils de couleur bleue et/ou rouge. Son nom se réfère au bleu tiré du pastel cultivé près de Cologne. Traditionnellement, ce tissu était exclusivement utilisé pour le linge de lit, mais au XXe siècle d’autres pièces de linge de maison ont été réalisées en kelsch. En 2015, deux tisserands produisent encore du kelsch en Alsace, l’un à Muttersholtz (Bas-Rhin), l'autre à Sentheim (Haut-Rhin). 

Historique

Le nom « kelsch » vient de l’expression «koelnisch Blau». L'adjectif « koelnisch », signifiant « originaire de la ville de Köln / Cologne », est prononcé « kelsch » dans le dialecte parlé dans cette ville. Blau indique qu’il s’agit du bleu de Cologne, couleur tirée du pastel. Selon la tradition, Charlemagne aurait en effet encouragé dans les environs de cette ville la culture du pastel, plante dont on tire une teinture bleue qui a servi à colorer les fils de lin jusqu'au XVIIe siècle. Puis l’indigo, qui donne des bleus beaucoup plus intenses, est arrivé en Europe et a été utilisé plus ou moins rapidement par les teinturiers.  Les plus anciens tissus de kelsch connus ont un fond blanc largement dominant et présentent de larges et fins carreaux formés par des fils bleus encore peu abondants. De telles pièces sont visibles sur certains tableaux du Moyen Âge rhénan représentant des personnages alités, dont la tête repose sur un oreiller blanc à grands carreaux bleus. 

La matière première

Autrefois réservé à la confection de la literie et des rideaux d’alcôve, le kelsch est majoritairement réalisé avec du lin, parfois avec du chanvre. La plante était rouie dans l’eau pour que la pectine se décolle. Une fois sèches, les tiges étaient brisées dans une broie ou macque. L’opération de teillage permettait de bien séparer les parties ligneuses de la tige pour libérer les fibres. Pour faire du kelsch, on sélectionnait les fibres longues, tandis que les fibres courtes étaient utilisées pour faire des tissus plus grossiers et les restes donnant de l’étoupe. En milieu rural, le filage a été jusqu'au milieu du XIXe siècle une des tâches de la femme. Les fibres longues étaient d’abord peignées entre les dents de gros peignes en fer, puis la filasse était mise sur la quenouille. De là, les fileuses tiraient quelques fibres à la fois, les torsadaient pour en faire un fil continu, qui était ensuite enroulé sur de petites bobines grâce au rouet.

Le tissage

Le kelsch se caractérise par une armure toile, nom donné au mode de tissage le plus simple. Les carreaux sont réalisés par l’insertion, à intervalles réguliers, de fils de couleur parmi les fils de chaîne, qui sont ensuite croisés au même intervalle par des fils de trame bleus et/ou rouges.  Ces tissus étaient surtout confectionnés en hiver par les paysans qui, pour la plupart, possédaient ou louaient un métier à tisser. Aux XVIIIe et XIXe siècles, le travail à façon était pratiqué dans de nombreuses régions d’Europe et pour de nombreuses productions (horlogerie, jouets en bois, textile,…). Un chef d’entreprise faisait apporter la matière première chez les paysans, qui confectionnaient alors à domicile et avec le concours de plusieurs membres de la famille, les produits finis. À la fin de l'hiver, le commanditaire venait les chercher, payait le travail et se chargeait ensuite de la finition et de la commercialisation. Il en a été ainsi pour le kelsch, fabriqué sur les métiers à tisser installés principalement dans les maisons du Ried, une région pauvre d’Alsace. Ce travail saisonnier permettait aux familles modestes d’augmenter leurs revenus. 

Utilisation

Après l'oreiller, l’édredon, pièce caractéristique de la literie des pays germaniques, est lui aussi recouvert d’une housse en kelsch. Les exemplaires conservés et les représentations iconographiques attestent que ce
tissu n’est utilisé que pour la partie visible de la literie. La face inférieure de l’oreiller et de l’édredon est faite de lin écru ou de coton blanc uni, les fils blancs étant moins chers que les fils de couleur. Deux rubans de lin ou de coton sont cousus de chaque côté de l’ouverture de la housse et servent à la fermer autour de l’édredon ou de l’oreiller de plume. Le linge de lit en kelsch fait partie du trousseau de la future mariée, qui y brode ses initiales au fil rouge, parfois aussi un chiffre de 1 à 12, un trousseau de mariage complet comprenant une douzaine d’exemplaires de chaque type de linge. Celui-ci est ensuite empilé dans le coffre ou l’armoire de mariage, où chaque housse en kelsch se trouve maintenue pliée grâce à quelques points cousus avec du gros fil. 

Le kelsch est aussi utilisé au XIXe siècle pour la confection des rideaux qui fermait l’ouverture de l’alcôve où était placé le lit des maîtres de maison. Les tisserands contemporains proposent aussi des rideaux, ainsi que des nappes, des torchons, des enveloppes de coussin et même des tabliers de cuisine. 

L’arrivée du rouge

Le tissage du kelsch permet de produire une très grande variété de motifs de carreaux, selon le nombre de fils teints et leur alternance sur le métier. L’arrivée d'une nouvelle couleur a encore enrichi le nombre de combinaisons possibles de fils colorés et il est dès lors difficile de trouver deux kelschs totalement semblables. On ignore à partir de quelle date les fils rouges se sont ajoutés aux bleus. Ils étaient teints avec de la garance, plante tinctoriale cultivée en Alsace dès le XVIIIe siècle, particulièrement aux environs de Haguenau. Les carreaux du tissu sont alors souvent tricolores, sans que l’on puisse voir dans cette nouveauté une motivation politique. L'entrecroisement de fils rouges et bleus alternés permet de donner l'impression que les carreaux sont violets. Vers 1830, le tissu devient « métis », mélange de lin et de coton, puis à la fin du XIXe siècle, il est composé de pur coton. Vers la fin du siècle, les carreaux sont de plus en plus fréquemment rouges et blancs et le motif XXe siècle va parfois même être imprimé, et non plus tissé. 

Aléa d’une tradition linière rhénane

Les villages alsaciens du Ried, en particulier à proximité de Sélestat, ont conservé longtemps le savoir-faire qui leur permettait de produire le kelsch dans un cadre traditionnel, ce qui n’empêchait nullement l’exportation de leurs produits dans toute la vallée du Rhin. 
Profitant de leur hégémonie sur les marchés de la confection et de la distribution, les industriels de SainteMarie-aux-Mines au XIXe siècle ont organisé la collecte et l’apprêt ultime des toiles fabriquées à domicile dans les villages de Baldenheim, Mussig, Bœsenbiesen, Artolsheim, Heidolsheim, Ohnenheim, Muttersholtz comme aussi à Sélestat. 
Après une disparition quasi-totale de cet artisanat de 1890 à 1970, parallèle à la disparition de la culture du lin en Alsace, Michel Gander à Muttersholtz, conserve le métier à tisser mécanique centenaire de son père, et perpétue une tradition familiale vieille de sept générations. Plus tard, Marlène et Gérard Abraham ont commencé, à Sentheim, à tisser du kelsch sur un métier à tisser manuel. 
Ils perpétuent aujourd’hui l’art du tissage du kelsch, répondant à une demande de produits textiles à la fois d’origine traditionnelle et adaptés aux besoins contemporains. 
Le Kelsch d’Alsace, en lin ou en chanvre, fait partie des produits artisanaux susceptibles d’être éligibles au nouveau dispositif des « Indications géographiques (IG) », mis en place en France pour « promouvoir le Made in France à l’export » et « mieux lutter contre la contrefaçon ». 
 


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